QUAND LE ZOUTE SE FAIT MONACO
- Hugues De Waele
- il y a 2 jours
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 heures

Chaque automne, le Zoute se transforme. Les rues deviennent vitrines, les terrasses résonnent de verres et de moteurs, les façades reflètent la lumière des carrosseries comme des bijoux sous le soleil. C’est le Zoute Grand Prix — ce rituel mécanique et mondain où le chrome rivalise avec le champagne, où la passion automobile se confond avec l’ostentation.
L’événement attire, fascine, éblouit. Mais à y regarder de plus près, il interroge. Que célèbre-t-on vraiment ? La beauté des machines, ou celle du paraître ?
Car derrière les sourires, les photographes et les drapeaux à damier, se cache un autre décor : celui d’un luxe qui, pour beaucoup, sonne creux. Des tickets à près de cent euros, des formules VIP dépassant les quatre cents, des espaces réservés, des parkings saturés. Pendant que certains admirent les courbes d’une Aston Martin, d’autres habitants se débattent dans la circulation ou fuient leur propre quartier devenu impraticable. L’événement, censé faire rayonner Knokke-Heist, finit par l’étouffer sous son propre prestige.
On pourrait encore s’en amuser, si ce faste n’était pas si anachronique. Dans un monde en quête de sobriété, le spectacle de centaines de voitures vrombissant sur le littoral a quelque chose de déroutant. On vante la passion, le patrimoine, la beauté mécanique — mais le souffle qui monte de la plage sent parfois le pétrole plus que la poésie. On glisse bien, ici et là, quelques modèles électriques pour verdir la photo, mais l’essence du spectacle reste celle d’un monde d’avant, où l’on confondait puissance et élégance, vitesse et grandeur.
Et pourtant, il ne s’agit pas de détester la belle automobile. L’art mécanique, la précision d’un moteur, la grâce d’une ligne dessinée à la main méritent d’être admirés. Ce qui dérange, c’est la mise en scène : ce théâtre social où l’on ne sait plus si l’on célèbre la voiture ou son propriétaire, la mécanique ou le prestige. Le moteur n’est plus au centre, c’est le miroir qui brille. Knokke-le-Zoute, jadis refuge d’artistes et de rêveurs, devient pour quelques jours un Monaco du Nord où l’on expose moins des voitures que des statuts.
Le Zoute Grand Prix aurait pu être une fête populaire, une ode au génie industriel et à la beauté intemporelle des formes. Il est devenu un concours d’apparences. On s’y promène comme dans un musée du luxe, on y parle plus de marques que de mémoire, et l’on repart avec des photos pleines d’éclat, mais bien peu de sens. Ce qui manque, c’est la respiration, la place pour le vrai plaisir, pour l’émerveillement sincère — celui qu’on ressent face à une machine qui a traversé le siècle, et non devant un logo de plus sur un polo bien repassé.
Alors, oui, le Zoute Grand Prix attire les foules, fait tourner les hôtels, fait briller la côte. Mais à force de briller, il éblouit. Et ce qu’il cache, derrière ses reflets, c’est une vérité plus terne : celle d’un événement devenu le symbole d’un monde qui s’accroche à son prestige, même quand le vent du changement souffle déjà sur les dunes.
Peut-être viendra le temps d’un autre Zoute Grand Prix — un rendez-vous de passion plus que de possession, une célébration du design et de l’ingéniosité, sans le bruit ni la frime. Un jour, peut-être, Knokke accueillera la beauté mécanique avec la même élégance qu’autrefois les artistes accueillaient la lumière du nord : sans fard, sans arrogance, avec ce simple désir de partager ce qui nous émerveille.
Pour l’heure, la mer observe, indifférente. Et dans le vent salé qui efface les traces de pneus sur le sable, on entend déjà la question que tout le monde évite : à quoi bon tant de puissance, si c’est pour tourner en rond ?
Le Flâneur du Nord
Vos avis...
Nos chers correspondants, entre nostalgie et ironie, semblent tous d’accord : le ZGP a troqué son âme contre un sponsor en carbone forgé.
Thierry pleure la disparition du vrai amour automobile, Victor rêve encore du temps où une Aston sentait le bois et non la vanité, et Jacques Beherman – en prophète élégant – dénonce les marchands du temple venus bénir leurs bolides sous les flashs. Alain, pragmatique, note que c’est « la rançon du succès », pendant que Christian, optimiste, invite tout le monde à consommer le Zoute sans modération (à défaut d’y circuler librement).
Guy, Jo et Kathleen acclament la plume du Flâneur du Nord – sans doute la seule chose restée authentique au Zoute – tandis que Marc et Martine préfèrent fuir en Alsace, là où les voitures ne klaxonnent pas pour des likes.
En somme : autrefois, le Zoute Grand Prix célébrait l’art mécanique ; aujourd’hui, il célèbre surtout l’art de se montrer. Mais qu’on se rassure, entre un champagne tiède et un klaxon trop fort, il reste toujours un Zoutois pour murmurer : « C’était mieux avant… mais quel bel article ! »
Le Flâneur du Nord
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Cher Hugues, Tu as raison : le Zoute GP a perdu ( vendu?) son âme. La réponse de
Jacques Beherman résume parfaitement la situation. Bravo Jacques: ton texte est parfait de a à z.L’amateur de voitures anciennes que je suis est déboussolé face à un tel spectacle.
Thierry Flament
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Mon cher Hugues ,
Lisant tes lignes monégasques , je relis tes lignes du 17 juillet de cette mémorable année ‘’ vers quelle Knokke Heist voulons nous aller ?’’
Elles restent d’une certaine actualité.
Je ne changerai non plus pas grand choses aux miennes qui les ont suivies , sauf à remplacer les chevaux par des chevaux vapeur pour lesquels j’ai la même passion .
Mais ,faudrait-il encore savoir raison garder et rester dans la mesure , ce qui semble échapper de plus en plus à grand nombre .
La démesure devient étalon de notre époque , et le pavillon de Sèvres serait trop petit a l’héberger.
Mais , mais , les arbres ne montent pas au ciel.
J’ai aimé , apprécié tes mots , art mécanique , ode à l’esprit industriel .
J’y ai été particulièrement sensible de par le cheminement familial , toujours dans l’automobile , mais quelle automobile, l’Automobile ,la belle , seigneuriale .
L’art , la finesse , la recherche , en bref , la classe , jusque dans l’odeur , la senteur si j’ose , des cuirs , les intérieurs ciselés ,habillés de bois précieux .
Je crains de devenir nostalgique , mais vois-tu , j’aime le beau , tout simplement le beau , le ronronnement plus que le bruit , le vrombissement plus que la pétarade .
Autres temps , autres mœurs .
La mer observe , les vieux singes aussi .( oups , mon Afrique me rattrape.)
Puissions-nous être plus éclairés par les lumières de la sagesse que celle des flashs , plus éphémères.
Avec amitié et gratitude pour tes lignes .
Victor Levy
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Cher Hugues,
L’automobile n’est-elle pas suffisamment vilipendée par ailleurs pour que tu y ajoutes ta voix, amplifiée par le haut-parleur du Z-Club ? J’ai compris : ce n’est pas tant l’automobile en soi qui t’agace que le côté ‘matuvu’ d’un événement zoutois. Il est vrai que les temps changent. Les réunions d’autrefois entre passionnés -elles existent toujours, en particulier au sein de clubs de marque- sont maintenant complétées par des manifestations à vocation commerciale. Je n’y vois pour ma part aucun mal et je fais partie de ceux qui, plutôt que de décrier le genre, l’encouragent. Je plaide même coupable puisque je suis crédité d’avoir fait partie du petit groupe qui a réintroduit les concours automobiles en Europe (c’était en 1988 dans le Parc de Bagatelle à Paris).
L’automobile, celle que les Futuristes qualifiaient de « plus belle que la Victoire de Samothrace », l’automobile est d’une importance exceptionnelle : sociale, industrielle, économique, sportive, culturelle … Des talents énormes, entrepreneurs, ingénieurs, stylistes, pilotes, explorateurs, et tant d’autres, s’y sont révélés.
Aujourd’hui, des collectionneurs préservent ce patrimoine et le cadre du Zoute Grand Prix, sorte de musée éphémère, leur donne l’occasion de le partager généreusement avec le public. Bien sûr, les structures d’accueil ont un coût qu’il faut financer. Dans ce contexte, la présence de sponsors et l’option, pour ceux et celles qui le souhaitent, de parader avec un accessoire de marque, comme cela se pratiquait d’ailleurs dans les concours d’élégance, fait partie du décor. Tu te demandes ce qu’on célèbre vraiment, la beauté des machines ou celle du paraître ? Faut-il répondre ? N’oublions pas que des entreprises comme Hermès ou Louis Vuitton donnent du travail à des milliers d’artisans hautement qualifiés. Il est heureux qu’elles aient des client(e)s ! N’oublions pas non plus que participants et visiteurs remplissent les hôtels, se retrouvent dans les restaurants et ’font’ les magasins.
Encourageons donc les organisateurs et consommons ce Zoute Grand Prix sans réserve ni modération !
Christian Philippsen
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Bonjour Hugues,
Tu l'imagines, vu mon implication dans notre organisation spadoise annuelle du Spa Revival, je porte un intérêt bien particulier au Zoute Grand Prix depuis son origine.
Je l'ai vu naître, grandir et évoluer au fil des ans.
J'avoue garder une certaine nostalgie des premières années, les bottes de paille Kustlaan, les voitures exposées sur la digue, et le concours d'élégance qui partait du golf.
Cet évènement cultivait au départ un côté convivial et sportif qui faisaient l'ADN des premières éditions, et attiraient de vrais passionnés de belles autos anciennes ou modernes.
Il est clair que le bling bling et le côté rendez-vous mondain ont pris le pas au fil des années, ce qu'on peut regretter, sans compter l'envahissement de la foule en ville, incluant malheureusement pas mal de 'brûleurs de gomme' qui n'ont d'autre intérêt que de faire du bruit avec des voitures sans intérêt et certainement sans rapport avec l'esthétique que le ZGP devrait décliner.
C'est sans doute quelque part la rançon de la gloire, mais je pense qu'il y a là un vrai sujet de réflexion pour les organisateurs, qui selon moi, et vu le parcours de cet évènement, doivent tenter de se rapprocher de la philosophie d'évènements tels que la Villa d'Este en Italie, Goodwood, ou Pebble beach qui font dans le haut de gamme et l'exclusif, sans aucune concession quant à la qualité pointue de leurs organisations et de tout ce qui tourne autour.
Je n'ignore évidemment rien de la difficulté à réaliser, encadrer et rentabiliser un tel évènement, et je serai d'ailleurs en première ligne de jeudi à dimanche pour ne rien rater de cette édition 2025, et je reconnais volontiers que ça reste un must pour les passionnés d'automobile de tous horizons, mais il faut rester vigilants à ne pas tuer la qualité en cédant trop à la quantité.
Bonne soirée à toi.
Alain Degen
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Cet article est extraordinaire ,quel talent d’écrivain et d’observateur de cette vie Zoutoise parfois tellement superficielle .
Toutes mes félicitations.
Amitiés.
Jo de Grand Ry
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Très bel article, Hugues
Guy Van Doosselaere
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Coucou, magnifique reportage sur le Zoute Grand Prix , quelle plume ! Bravo !
Hélas pour ce que le Grand Prix est devenu, il est loin le temps de Zoute familial ...
Continue à nous faire vivre le Zoute d hier et d aujourd'hui.
Merci Hugues,
Kathleen Van Isacker
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Je vous ai lu avec beaucoup d’attention et je partage entièrement votre sentiment.
Il arrive, parfois, qu’un événement se fasse dépasser par son propre succès. Ce qui, au départ, naît d’une belle idée, d’une passion sincère, se transforme en quelque chose d’autre — en un spectacle qu’on n’a pas voulu, où la forme prend le pas sur le fond.
J’espère comme vous qu’un jour, le Zoute Grand Prix retrouvera son âme première : celle des véritables amateurs d’automobiles, des amoureux d’un art mécanique plus que centenaire, qui raconte à sa manière l’histoire de notre civilisation industrielle, de nos rêves, de nos progrès et parfois de nos excès. Car célébrer l’histoire de l’automobile, c’est aussi célébrer une part de notre histoire commune.
Mais, hélas, comme souvent, les marchands du temple ont pris place.
Là où certains viennent admirer, d’autres viennent vendre ; là où certains cherchent la beauté, d’autres cherchent la visibilité. Cela existe à Lourdes, à Rome, et désormais aussi au Zoute.
Pour autant, rêver d’un événement sans retombée commerciale serait sans doute une utopie. Alors, autant accepter cette dualité : profitons de la beauté des voitures, de la grâce de leurs lignes, du talent des ingénieurs et des artisans qui les ont façonnées — et oublions un instant le reste.
Regardons les voitures pour ce qu’elles sont : des œuvres d’art en mouvement, pas des miroirs de vanité.
Jacques Beherman
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Bravo Hugues…Je suis tout à fait d’accord avec toi …
Que célèbre-t-on vraiment : la beauté des machines ou celle du paraître ?
Maryse Querinjean
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Bravo Monsieur. Hélas le pharmacien devenu riche s’est entiché du ZGP. Sans quoi s’en était fini! Dommage… Nous partons loin de Knokke pour célébrer ce GP.. Vive l’Alsace en cette période automnale.
Marc et Martine Noyen
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Merci Hugues.
Il y a déjà longtemps que ce Zoute Grand Prix n’est plus ce qu’il était.
Circuler au Zoute est devenu une aventure dont on se passerait bien.
Ceux qui aiment être dans le déni te diront que tu exagères et c’est ainsi que chaque année, cela s’empire…
Heureusement qu’il y a des courageux comme toi.
Vivi Berko
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Les lignes, écrit par C.Philippsen et J.Beherman,sont d'une justesse sans pareille.
Quelles plumes!
Geneviève Hilderson Meunier
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Hello Hugues,
Voilà un excellent résumé.
On râle mais on reste malgré le bruit des moteurs arrogants et les dorures rutilantes.
Amitiés
Guy De Wulf
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Vos avis sont les bien-venus à info@zclub.be
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