SALON LITTÉRAIRE
- Hugues De Waele
- 21 mars
- 29 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 mars

Le Z-Club Bruxelles a fait une entrée remarquée avec son tout premier Salon Littéraire de 2025 au Passage Bortier. Lors de cette causerie, Alain Zenner, en jetant un œil dans le rétroviseur, nous a offert une balade érudite à travers quelques joyaux littéraires injustement tombés dans l’oubli. Voici un retour sur les ouvrages évoqués et les savoureux commentaires de notre orateur. La plupart des livres seront en vente à la librairie Tree Books au Zoute (Sparrendreef en face de l'église des Dominicains) dans le présentoire de la sélection du Z-Club.
Romans
Francis Walder, Saint-Germain ou la négociation, Folio, 2003, 186 p. (Prix Goncourt 1958)
Jean-Philippe Toussaint, La vérité sur Marie, Éditions de Minuit, 2013, 219 p. (Prix Décembre 2009 ; prix triennal de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2013)
Georges Simenon, Lettre à mon juge, 1947, Poche n° 14276, 1997, 189 p.
Jan Van Dorp, Flamand des vagues, coll. Libretto, Éditions Phoebus, Paris 1989, rééd. 2013, 663 p.
Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, Julliard, 1954, Poche, 2021, 160 p. (prix des Critiques 1954)
Marguerite Duras, L’Amant, Les Éditions de Minuit, 1984, 145 p. (prix Goncourt 1984)
Maylis de Kerengal, Réparer les vivants, Folio, 2020, 304 p. (dix prix littéraires)
Jean-Christophe Rufin, Les flammes de Pierre, 2021, Gallimard, 2021, 346 p. (Prix littéraire 30 millions d'amis 2023)
Fresques d’époque
Marguerite Yourcenar, Souvenirs Pieux, Gallimard, 1974, Folio n° 1165, 370 p.
Françoise Chandernagor, L’Or des rivières, Gallimard, 2024, 304 p.
Polars
Nadine Monfils, Les Folles enquêtes de Magritte et Georgette : À Knokke-le-Zoute, Rob. Laffont, 288 p.
Fred Vargas, Temps glaciaires, Flammarion, 2015, J’ai lu, 2016, 480 p.
Dona Leon, Mort à la Fenice, Calmann-Levy, 1997, coll. Poche Points, 2023, 288 p.
Biographies .
Stéphanie des Horts, Pamela, Albin Michel, 2017, 420 p.
Stéphanie des Horts, Doris – Le Secret de Churchill, Albin Michel, 2022, 283 p
Marie-Dominique Lelièvre, Chanel & Co: Les amies de Coco, J’ai lu, 2015, 448 p.
Essais
Laure Murat, Proust, Roman familial, Robert Laffont, 2023, Le Livre de Poche n° 37744, 258 p. (prix Médicis Essais 2023)
Douglas Kennedy, Toutes ces grandes questions sans réponse, Belfond, 2016, 250 p.
Sciences du langage
Laurent Nunez, L’énigme des premières phrases, Bernard Grasset, Paris, 2017 (1- 12 août 2017)
Anne Boquel & Etienne Kern, Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains, Payot, 2015
Francis Walder, Saint-Germain ou la négociation, Folio, 2003, 186 p. (prix Goncourt 1958) - 8 € sur Amazon
« La vérité n’est pas le contraire du mensonge, trahir n’est pas le contraire de servir, haïr n’est pas le contraire d’aimer, confiance n’est pas le contraire de méfiance, ni droiture de fausseté » (p. 11)
C’est sur ces mots que s’ouvre ce beau livre. C’est donc son incipit, ce mot qualifiant notamment la première phrase d’un livre. J’y reviendrai dans quelques instants.
Que relate ce livre ? C’est un épisode de l’histoire hexagonale, la négociation de la paix de Saint-Germain, conclu en 1570 au château de cette ville entre catholiques et protestants. L'auteur, un officier retraité qui a été prisonnier de guerre en Allemagne pendant cinq ans a participé après la libération pour le compte de l’armée à diverses missions diplomatiques internationales, notamment aux tractations pour la création de l’Otan. Il a souhaité en tirer les leçons à l’intention de ses enfants et écrire un manuel des pourparlers, mais il a finalement préféré en faire revivre son expérience en la situant dans le contexte d'un traité historique. Ce qu’il a vécu sert donc de creuset au récit.
Face à face se trouvent les deux négociateurs choisis par le roi Charles VII, fils de Henri II et petit-fils de François Ier, sous la coupe de sa mère Catherine de Médicis ;, et deux négociateurs huguenots désignés par l’amiral de Coligny. Objectif : pacifier la France ensanglantée, déchirée par ses religions, en désignant les villes dans lesquelles la pratique de la religion protestante sera tolérée. Le livre qui raconte les finesses, les roueries, les astuces les feintes, les manœuvres de ces gentilhommes. Derrière la prudence toute diplomatique des personnages et la sobriété du récit, on entrevoit des passions immenses et féroces. À moment donné l’accord paraît se faire. Et puis parait une assez énigmatiquement femme séduisante, se noue une intrigue, et tout est remis en jeu. Le livre se termine sur la conclusion du traité, dont les auteurs n’ignorent pas le caractère fragile. Deux ans plus tard, de sera la Saint-Barthélemy.
C’est un livre étonnant. C’est d’abord un premier roman, et rares sont les premiers romans aussi aboutis grâce à un travail d’orfèvre. C’est ensuite l’œuvre d’un militaire et on s’attendrait dès lors plutôt une écriture carrée, pour ne pas dire épaisse; mais la plume est au contraire légère et vivace, souple et fine, et l’écriture très élégante. Enfin l’auteur est Belge et, cerise sur le gâteau, ce livre, paru en 1958, obtient aussitôt le prix Concourt, devant des auteurs comme Poirot-Delpech, membre de l’Académie française, et Robert Sabatier, l’auteur des Allumettes suédoises.
Il est vrai qu’en 1958, année de l’Exposition universelle, la Belgique fut mise à l’honneur à diverses occasions. Le père Dominique Pire obtient ainsi le prix Nobel de la Paix pour son travail en faveur des réfugiés après la Seconde Guerre mondiale.
Le livre a fait l’objet d’une adaptation pour un téléfilm français par Gérard Corbiau pour France 3 en 2003. Le principal négociateur royal y est interprété par Jean Rochefort. Il est disponible en DVD et on en trouve des extraits sur YouTube.
Sur le site de l’INA on trouve aussi des images d’époque de Francis Walter, interviewé par Nicole Vedres dans le cadre de l’émission Lecture pour tous, le magazine littéraire d’avant Bernard Pivot, Apostrophes et Bouillon de culture, de la proclamation des résultats du prix et d’une interview de Jean Giono au sujet de son attribution.
Walder a par la suite écrit quatre autres romans, qui n’ont malheureusement pas affiché les mêmes qualités et ont sombré dans l’oubli.
Jean-Philippe Toussaint, La vérité sur Marie, Éditions de Minuit, 2013, 219 p. (prix Décembre 2009 et prix triennal de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2013) - 9.90 € sur Amazon
Ici c’est un style tout aussi soigné, mais d’un autre genre, que je vous propose.
Jean-Philippe Toussaint, né en 1957, est le fils d'Yvon Toussaint, qui fut correspondant à Paris puis rédacteur en chef du journal Le Soir, et de Monique Toussaint, fondatrice de la librairie Chapitre XII à Ixelles. Il fit ses études à Paris, où il obtint un diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et un DEA d'histoire contemporaine. Dans sa jeunesse, il fut aussi champion du monde junior de scrabble. C’est dire qu’il maîtrise la langue. Ses romans se caractérisent par un style et un récit minimalistes. En 1986 il obtint le prix littéraire de la vocation pour son premier roman publié La Salle de bain, en 2005 le prix Médicis pour Fuir. Depuis 2014 il est membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Ses romans sont traduits en plus de vingt langues. Il est aussi réalisateur et scénariste.
Le livre que je vous suggère ressort au ‘‘Cycle de Marie’’, intitulé Marie Madeleine Marguerite de Montalte, en quatre volets : Faire l'amour en 2002 ; Fuir en 2005, La Vérité sur Marie en 2009 ; et le quatrième volet Nue, en 2013. En lire un vous donnera l’envie de lire l’ensemble du cycle.
Au centre de cette quadrilogie, le narrateur et Marie, un couple qui, au cours des quatre romans, ne cesse de se séparer tout en restant ensemble. Sur fond de rupture, ces livres sont des romans d’amour traversés par la passion, la douleur, les voyages, les fuites et la mort. On y entend comme en sourdine des cris, des halètements, des rires et des pleurs.
Le récit que rapporte La Vérité dur Marie est donc très sobre. Il n’est composé que de trois tableaux : l’accident cardiaque dont est victime l’amant occasionnel de Marie, avec l’arrivée des secours et du narrateur qui était, jusqu’à – son compagnon et qu’elle a appelé à l’aide ; un retour en arrière (un flash-back) sur la rencontre au Japon de Marie et de cet amant, le propriétaire d’une écurie de course, au Japon, les péripéties de leur déplacement vers l’aéroport de Narita avec le cheval Zahir avant leur retour en Europe ; et, entre les deux épisodes, le voyage du narrateur à l’Ile d’Elbe pour soutenir Marie après la mort de son père qui y vivait
« C'est très beau, a écrit un critique littéraire. D'une beauté stupéfiante par instants, à laquelle prennent part tout à la fois la clarté et la vigueur de l'écriture de Toussaint, sa puissance d'évocation qui rappelle celle d'un plasticien, la rigueur de son architecture romanesque millimétrée, la discrète méditation sur la distance, le réel et l'imagination qui court en filigrane de l'intrigue, la sensualité qui préside au portrait de Marie tel qu'il se dessine – cette vérité sur Marie que promettait le titre du roman, et qui se confond finalement avec l'amour qu'elle inspire. »
Georges Simenon, Lettre à mon juge, 1947, Poche n° 14276, 1997, 189 p. – 6,40 € sur Amazon
Simenon est né dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 février 1903 (on dit « dans la nuit », car on ne sait pas exactement si sa mère lui a donné vie un peut avant ou juste après minuit), et ce rue Léopold dans le centre de Liège. À deux pas de là se trouvent deux édifices vénérables de la cité : l’Hôtel de Ville, place du Marché, avec son commissariat de police, et l’ancien Palais des Prince-Évêques, face à la place Saint-Lambert, qui abritait à l’époque les tribunaux et la cour d’appel. D’un côté la police, de l’autre la justice, deux éléments qui joueraient un rôle si important dans sa création romanesque.
Simenon a prétendu n’avoir jamais écrit un seul roman policier, entendant par là que la finalité de ses romans dits policiers était tout autre. Leur aspect judiciaire est cependant évident. Mais plus qu’à la justice, c’est à l’injustice que Simenon a été sensibilisé dès son plus jeune âge. Simenon ne croit d’ailleurs pas à la justice et encore moins dans son acmé, le procès pénal, une ‘‘machine monstrueuse’’. Prenez les premières lignes de Maigret aux assises. Maigret attend dans la salle des témoins de la cour d’assises de Paris d’être appelé pour rendre compte de son enquête. Il est d’humeur maussade. Il vit à cet instant, maugrée-t-il, « le côté le plus pénible de sa profession ». « On était tout à coup plongé dans une univers dépersonnalisé, où les mots de tous les jours ne semblaient plus avoir cours, où ls faits les plus quotidiens se traduisaient par des formules hermétiques. La robe noire des juges, l’hermine, la robe rouge de l’avocat général accroissaient encore cette impression de cérémonie aux rites immuables où l’individu n’était rien. »
Personnellement je trouve la Lettre à mon juge, écrite en 1946, le roman judiciaire le plus touchant de Simenon. C’est d’ailleurs le premier roman signé Simenon qui soit écrit à la première personne. Simenon y a mis beaucoup de choses qui le hantaient à l’époque, et qui ont continué à l’intéresser jusqu’à sa mort. Pourquoi un homme devient-il un criminel ? Qu’est-ce que la folie ? Qu’est-ce qui distingue le fou d’un homme normal.
Il s’agit de la lettre qu’un meurtrier, le Docteur Charles Alavoine, écrit, après avoir été jugé et reconnu coupable par la cour d’assises d’un crime passionnel, le meurtre de sa jeune maîtresse, au juge d’instruction qui était en charge de son dossier.
Voici un médecin issu d’une famille modeste, qui a fait sa vie en province, à la Roche-sur-Yon (en dessous de Nantes, à un peu moins de 80 km), qui vit une existence sans faste, mais sans vrai drame, entre sa mère possessive, le souvenir d’une première épouse morte en couches, et une seconde épouse, Armande, conjointe sans véritable amour mais parfaite, ayant repris à sa mère la direction du ménage. Cette femme, une bourgeoise depuis de nombreuses générations, il la sent supérieure à lui : « je rentrais chez moi avec un tel sentiment de mon infériorité que j’aurais aimé aller manger dans la cuisine avec la bonne », écrit-il. « Elle est la dignité même. Et maintenant, essayez de vous imaginer pendant dix années en tête-à-tête quotidien avec la Dignité, essayez de vous voir dans un lit avec la Dignité ».
Qu’arrive-t-il, qui va bousculer sa vie par le plus grand des hasards ? Une rencontre, sur le quai d’une gare, avec Martine, une jeune fille, qui vient, comme lui, de rater le train. Alavoine est réservé au départ, mais après une nuit d’hôtel il se découvre éperdument amoureux d’elle au point de ne pas pouvoir imaginer désormais sa vie sans elle. Vous devinez qu’il va finir par tuer sa maîtresse. Pourquoi ? Par jalousie de son passé, des hommes qu’elle a connus avant lui, par angoisse de ce que ce passé lui échappe. Et loin de la tuer dans un coup de sang, il l’étrangle alors qu’elle dort paisiblement à côté de lui. Ainsi croit-il pouvoir préserver son bonheur.
Est-il normal, est-il fou ? C’est justement cette ligne qui sépare le fou de l’homme sain qui intéresse Simenon. un irresponsable.
À ceux que le thème intéresse, je recommande incidemment de Christian Guéry et Alexandra Fabbri, Simenon et la Justice, éd. Les Belles Lettres, 2017, 210 p.
Jan Van Dorp, Flamand des vagues, Éditions Phoebus, coll. Libretto, 1989, rééd. 2013, 617 p. – 5 € sur Amazon
Le Flamand des Vagues, de Jan van Dorp, un autre écrivain belge francophone qui a vécu sur notre côte, est à mon estime l'un des meilleurs romans d'aventure maritime, paru en 1948.
C’est une œuvre de fiction, une évocation romanesque, mais d’un réalisme à la flamande, à l'air salin et aux littoraux ventés, appuyée sur un arrière-plan historique. Elle raconte la vie haute en couleurs du corsaire d'Ostende Marinus De Boer au tournant des XVII e et XVIIIe siècles, à la grande époque où les marins de Flandre, rivaux de leurs cousins bataves, avaient réussi à se tailler un début d’empire dans les Indes. À 11 ans il connaissait déjà l’odeur de la poudre et le fracas des abordages. Élevé sous la férule d’un pirate et d’un géant , redoutable meneur d’hommes, il irait vers l’Orient, écumant les océans, vivant un destin fabuleux et devenant une légende.
« On se lance à l’abordage, on essuie de méchantes tempêtes, on vide force brocs de bière blonde et de vin clairet dans les tavernes du quai et rentré chez soi on astique les boiseries et les cuivres de son petit intérieur de marin bourlingueur avec le même soin qu’y mettrait une béguine de Bruges. Paradoxal génie de la Flandre qui n’a toujours pas fini de nous faire rêver. Le chef-d’œuvre d’un des plus grands écrivains belges d’expression française de l’après-guerre – et l’un des plus sûrs classiques de l’aventure marine. »
Sans doute jugerez-vous curieux, si vous aimez les livres qui racontent la vie sur mer et si c’est le cas, que vous n’ayez jamais entendu parler de celui-ci. Si l’œuvre est peu connue, c’est parce que l'auteur a été proscrit pour avoir écrit dans divers journaux de la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais elle connut un succès international lors de sa publication. Sa version anglaise, sous le titre The Sable Lion, fut consacrée meilleur livre du mois aux États-Unis. Le livre fut également traduit en néerlandais, en espagnol, en allemand et en slovène. Il a été réédité récemment et se trouve dans toutes les bonnes librairies.
Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, Julliard, 1954, Poche, 2021, 160 p. (prix des Critiques 1954) - 5,40 € sur Amazon
« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse ». Voilà un autre incipit, celui de Bonjour Tristesse, de Françoise Sagan, paru en 1954. Vous connaissez tous ce livre. Sans doute l’avez-vous lu. Je trouve qu’il faut le relire.
C’est le premier roman d’une jeune fille de dix-huit ans, Françoise Quoirez, issue de la bourgeoisie parisienne aisée mais élevée très librement, une jeune fille comme les autres, ou presque. Car elle écrit avec un talent qui crève aussitôt l’œil le portrait incandescent d'une jeune fille prise entre frivolité et gravité.
Le livre tourne autour des rapports familiaux, de la jeunesse et de ses espoirs, de la trahison, de la manipulation, de la tentation d'une vie facile et de l'espoir du bonheur : « Le soleil brûlant, une magnifique villa, la Méditerranée toute proche... Cécile, dix-sept ans, s'apprête à passer un été inoubliable. De l'amour, elle ne connaît que la légèreté, les baisers et l'inévitable lassitude, tout comme son père Raymond, qui enchaîne les conquêtes. L'arrivée d'Anne, femme cultivée et droite, menace soudain leur insouciance. Pour préserver leur vie d'amusements, Cécile s'engage alors dans un jeu dangereux... » Les thèmes du livre sont
« François Le Grix est le premier lecteur de Bonjour Tristesse en ce 11 janvier 1954. Voici ce qu’il rédige avant de terminer sa journée de travail, consciencieusement, de sa belle écriture d’écolier de la troisième République qui connaît ses sous-préfectures et sait résoudre des problèmes de croisements de trans. – ‘‘La plume de Mlle Quoirez court joliment sans défaillir (…) Le charme, l’ensorcellement assez particulier, fait à la fois de perversité et d’innocence, est fait aussi d’indulgence et d’amertume vis-à-vis de la vie, de douceur et de cruauté . Poème autant que roman en de certaines pages, mais sans rupture de ton, sans qu’aucune note ne sonne jamais faux. Et roman surtout où la vie coule de source, dont la psychologie, pour osée qu’elle soit, meure infaillible car ses cinq personnages Raymond, Cécile, Anne, Elsa et Cyril sont fortement typés, et nous ne les oublierons plus. »
L’ouvrage deviendra rapidement un énorme succès mondial et son auteur riche et célèbre, noctambule et légendaire, culte et pourchassée, mais aussi très généreuse.
Si je puis vous donner un conseil, avant de lire ou de relire Bonjour Tristesse, lisez d’abord Sagan 1954 de Anne Berest, Ed. Stock, 2014, Le Livre de Poche n° 33710, 187 p. – 7,90 € sur Amazon.
J’y ai trouvé une anecdote sur l’histoire de ce livre que je voudrais vous rapporter. Un an avant la publication de son livre Françoise Sagan avait rencontré une diseuse de bonne aventure, qui lui avait annoncé : ‘‘Vous écrirez un livre qui passera les océans’’ et cela lui avait donné du courage pour ressortir de son tiroir quelques pages qu’elle avait rédigées plus tôt et qui dormaient, abandonnées.
« La voyante demande à Françoise de tirer les cartes et de les poser sur la table, puis elle se lève, prend un pendule et regarde Françoise droit dans les yeux avant de lui dire : ‘‘Je vois quelqu’un, qui va venir habiter chez toi. – Quelqu’un va arriver dans les jours prochains. – Quelqu’un que tu aimeras et qui t’aimeras immédiatement car tu as le don de plaire. Mais attention, vous aurez des relations excessives, car elle est insolente et capricieuse. Elle t’aimera comme aiment les enfants, sans raison. Elle t’aimera comme aiment les femmes, ne pardonnant pas d’être négligées. – C’est quelqu’un que tu connaîtras toute ta vie, qui t’abandonneras parfois, dans de grandes souffrances. Sur son passage, tu l’appellera toujours par son nom. Tu devras l’honorer et la chérir, car tu fais partie des êtres qui savent comment la rendre heureuse. Comment la faire rire. Et quand tu ouvriras la porte, tu devras la regarder en face. – Qui est cette personne ? – C’est la chance.’’ » (p. 44-45)
Marguerite Duras, L’Amant, Les Éditions de Minuit, 1984, 145 p. (prix Goncourt 1984) - 13 € sur Amazon
« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : ‘‘Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté.’’ Voilà un troisième incipit célèbre.
« Dans L'Amant, Marguerite Duras reprend sur le ton de la confidence les images et les thèmes qui hantent toute son œuvre. Au sens propre, Duras est ici remontée à ses sources, à sa "scène fondamentale" : ce moment où, vers 1930, sur un bac traversant un bras du Mékong, un Chinois richissime s'approche d'une petite Blanche de quinze ans qu'il va aimer.
François Nourissier : « Les lecteurs vont pouvoir ensuite descendre le Mekong, ce grand fleuve aux lenteurs asiatiques et suivre la romancière dans tous les méandres du delta, dans la moiteur des rizières, dans les secrets ombreux où elle a développé l'incantation répétitive et obsédante de ses livres, de ses films, de son théâtre. Il faut lire les plus beaux morceaux de L'Amant à haute voix. On percevra mieux ainsi le rythme, la scansion, la respiration intime de la prose, qui sont les subtils secrets de l'écrivain. Dès les premières lignes du récit éclatent l'art et le savoir-faire de Duras, ses libertés, ses défis, les conquêtes de trente années pour parvenir à écrire cette langue allégée, neutre, rapide et lancinante à la fois, capable de saisir toutes les nuances, d'aller à la vitesse exacte de la pensée et des images. Un extrême réalisme (on voit le fleuve ; on entend les cris de Cholon derrière les persiennes dans la garçonnière du Chinois), et en même temps une sorte de rêve éveillé, de vie rêvée, un cauchemar de vie : cette prose à nulle autre pareille est d'une formidable efficacité. À la fois la modernité, la vraie, et des singularités qui sont hors du temps, des styles, de la mode. »
Marguerite Duras a reçu le prix Goncourt en 1984 pour ce roman. Traduit dans 35 pays, il s'est vendu à 2 400 000 exemplaires toutes éditions confondues.
La suite de l’incipit : « Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n’ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C’est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m’enchante.
« Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit. »
Maylis de Kerengal, Réparer les vivants, Folio, 2020, 304 p. (dix prix littéraires) – 9 euros sur Amazon
Un roman particulièrement touchant qui a eu dix prix littéraires. Il a notamment été couronne par le prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama (ancien prix France Culture-Télérama), par le prix du meilleur roman du magazine Lire, par le Grand prix RTL-Lire 2014, par le prix des lecteurs de L'Express-BFM TV18, par le prix Relay19 des voyageurs avec Europe 1, et par le prix Orange du Livre. L’auteur a par ailleurs été couronné en 2010 par le prix Médicis pour son livre Naissance d’un pont. En 2014 elle aussi reçu le grand prix de littérature Henri-Gal pour l'ensemble de son œuvre.
L’ouvrage narre le périple en vingt-quatre heures du cœur du jeune Simon, en mort cérébrale à la suite d’un accident de voiture, jusqu'à la transplantation de ses organes. "Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps." L’auteur décrit les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer.
C’est, dit la présentation du livre, un « Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour. »
L’auteur est née le 16 juin 1967, elle a donc 57 ans.
Réparer les vivants est une ode à la vie passionnante, émouvante. Ce livre nous interpelle sur nos propres convictions et nos questionnements que l'on botte volontiers en touche sur des sujets aussi sensibles. C’est un bouquin bouleversant qui va droit au … cœur (Analyse de l’œuvre, de Ludivine Auneau et Pola Livinal)
Jean-Christophe Rufin, Les flammes de Pierre, 2021, Gallimard, 2021, 346 p., Folio, 2024, 384 p. ((Prix littéraire 30 millions d'amis 2023) – 9,50 € sur Amazon
C’est un livre particulièrement touchant, l’un des plus beaux romans d’amour que j’ai lus depuis longtemps et le plus beau récit de montagne que j’ai découvert depuis les œuvres de Frison-Roche.
Rémy est guide dans le massif du Mont-Blanc. Dilettante et désabusé, il enchaîne les relations éphémères, sans espérer rencontrer jamais le grand amour.
Laure, une Parisienne affairée et ambitieuse, consomme les sports d'hiver comme un bien de luxe auquel sa réussite lui donne les moyens d'accéder.
Leur rencontre va les tirer hors d'eux-mêmes. Car la haute montagne, avec sa force, sa beauté, sa cruauté, révèle les êtres et les dépouille des masques derrière lesquels ils croient pouvoir se dissimuler.
Les Flammes de Pierre se déploie comme une histoire d'amour à trois personnages : deux êtres qui s'attirent, s'éloignent, se découvrent. Et la haute montagne, avec ses paysages somptueux, qui les surplombe et les unit.
(Roger Firson-Roche, Premier de cordée, J’ai lu, 2020, 320 p. – 7,70 € sur Amazon.
Pour ramener à bon port le corps de son père, foudroyé en pleine ascension, Pierre est prêt à braver tous les dangers. À Chamonix, les guides se mobilisent : Servettaz était le meilleur d'entre eux. La montagne est une redoutable tueuse, elle sélectionne impitoyablement ses victimes. Celles-ci le savent bien, elles qui la consomment comme une drogue et la portent dans leur sang. Une histoire qui parle de passion, de courage et de la solidarité des hommes.)
Marguerite Yourcenar, Souvenirs Pieux, Gallimard, 1974, Folio n° 1165, 370 p., Folio – 9,50 € sur Amazon.
Le livre de Marguerite Yourcenar commence par le récit d'une naissance : la sienne. De ce point de départ elle s'interroge. D'où vient-elle ? Qui fut sa mère, morte presque aussitôt ? Qui fut son père ? Ces deux familles dont elle est issue, que peut-elle en savoir, à travers les épaisseurs du temps ?
Personne ne rend sensible comme elle l'existence d'âge en âge des êtres en un lieu donné, et le fait que les générations sur le même coin de terre s'entassent comme des strates géologiques, côte à côte avec les bêtes et les plantes.
Le récit s'accompagne à chaque pas de commentaires qui sont des coups de projecteurs dans le brouillard de toute vie. Si bien que d'une histoire à peu près ordinaire ou commune Marguerite Yourcenar a fait une œuvre extraordinaire, où la rigueur le dispute à la compassion, où le plus grand art et le plus discret est au service d'une rare noblesse de cœur.
Françoise Chandernagor, L’Or des rivières, Gallimard, 2024, 304 p. – 21 € sur Amazon
Françoise Chandernagor, née le 19 juin 1945 à Palaiseau (Essonne), est une femme de lettres et haut-fonctionnaire française. Elle est, si je ne me trompe, la seule femme à être sortie major de l’ENA, en 1968, à 23 ans. Ses grands-pères étaient l’un ‘‘maçon-migrant’’ dans la Creuse, descendant d’un esclave indien, et un artisan-coutelier dans la Vienne. André Chandernagor, son père, avait gravi tous les échelons de l’ascenseur social pour finir sa carrière comme ministre des Affaires européennes du gouvernement de Pierre Mauroy en 1981.
Après une carrière au sein du Conseil d’État, Françoise a écrit une quinzaine d'ouvrages, tous très appréciés, dont L'Allée du Roi publié en 1981 (les mémoires imaginaires de Madame de Maintenon, seconde épouse de Louis XIV). Elle est membre de l'Académie Goncourt depuis 1995. Ses livres ont été traduits en une quinzaine de langues.
Dans ce récit-ci, autobiographique, elle nous décrit la Creuse de l’après-guerre, pays des sources et des eaux qui inspira Claude Monet, avec ses rivières sauvages, ses vallées sombres, ses gorges, ses torrents, ses cascades, et, au creux des collines, un lac immense. Pauvre, secrète et longtemps inaccessible, cette région du Massif central - dont, pendant trois siècles, les fils devaient migrer chaque printemps vers des chantiers parisiens pour survivre, fut le paradis de son enfance, une enfance à demi paysanne, une enfance libre et buissonnière dans un hameau de dix-sept feux, dont elle décrit la vie.
À travers le sort de ceux qu'elle a connus dans son village, et les changements économiques ou climatiques violents de ces dernières années, Françoise Chandernagor, avec son art de conteuse, montre la transformation de cette "île" hors du temps, son île battue des vents où, longtemps, on n'arrivait qu'à pied.
Nadine Monfils, Les Folles enquêtes de Magritte et Georgette : À Knokke-le-Zoute, Robert Laffont, 288 p. - 14,90 € sur Amazon
Nadine Monfils (née à Etterbeek le 12 février 1953) est une écrivaine et réalisatrice belge, vivant à Montmartre.
Mariée, mère de deux enfants, Nadine Monfils a longtemps enseigné la morale, tout en écrivant. Éclectique, elle excelle dans tous les genres : poésie (douze prix), théâtre, bande dessinée, roman, nouvelle... Elle a dirigé une galerie d’art à Bruxelles pendant sept ans et a fait carrière comme comédienne. Elle-même joué dans des pièces de théâtre en wallon brabançon au Cercle l'Effort d'Ottignies.
Elle est prolifique et a obtenu de très nombreux prix.
Elle a écrit de nombreux polars et depuis quelques années elle couche sur le papier une série d'enquêtes imaginaires menées par le peintre René Magritte et sa femme Georgette. Elle y combine un aspect ludique – la narration de l’enquête – et un aspect érudit – elle évoque la personnalité du peintre et celle de son épouse, leurs côtés petit-bourgeois, leurs travers, mais aussi leur imagination : on y apprend beaucoup sur le personnage et sur son œuvre. Seule réserve : ces traits reviennent apparemment dans chacun des livres de la série, dont il ne faut donc pas abuser.
Je vous propose évidemment l’enquête de la série qui a pour décor Knokke-Le Zoute, ‘‘avec la mer du Nord pour dernier terrain vague...’’
Enfin les vacances, direction Knokke-le-Zoute ! Le peintre Magritte et sa femme Georgette se préparent à savourer les plaisirs de la côte belge : promenades en cuistax, croquettes de crevettes et moules-frites. Mais avant ça, ils profitent de la plage, bien installés dans leur transat. Un peu plus loin, les aboiements de leur chienne Loulou sonnent la fin du farniente. En grattant dans le sable, elle a déterré une main. Une aubaine pour René et Georgette qui vont se livrer à leur plaisir secret : traquer le meurtrier.
Fred Vargas, Temps glaciaires, Flammarion, 2015, J’ai lu, 2016, 480 p. – 9,20 € sur Amazon
Vargas est la patronne du polar français, en tout cas du polar cultivé. Ce qui tient au fait qu’elle est non seulement romancière mais aussi archéozoologue (L'archéozoologie est la discipline scientifique qui vise à reconstituer l'histoire des relations naturelles et culturelles entre l'homme et les espèces animales actuelles ou récemment éteintes.)
Vargas a commencé à écrire en 1980 et a remporté le prix du premier roman du festival de Cognac. Elle a publié à un rythme soutenu une quinzaine de romans policiers qui mettent en scène, pour la plupart, le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. Ses livres la font régulièrement apparaître parmi les dix romanciers les plus vendus de l’année, classés par Le Figaro. Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma et à la télévision.
Parmi les caractéristiques du style de Vargas, on trouve une attention importante portée aux personnages et intrigues secondaires et aux dialogues, ainsi qu'une forte présence des légendes et de l'Histoire. Ses romans font aussi la part belle à l'humour et la poésie
Le printemps s'annonça par un triolet de suicides. Une même signature laissée près des victimes, un étrange symbole en forme de guillotine. Pour le commissaire Adamsberg et ses adjoints c'est le début d'une enquête débridée qui les conduira des arcanes d'une étrange société, férue des écrits de Robespierre, aux terres lointaines et embrumées d'Islande. Entre polar historique, tragédie et conte fantastique, Fred Vargas maîtrise à merveille le subtil équilibre des genres pour créer le sien, inimitable.
Dona Leon, Mort à la Fenice, Calmann-Levy, 1997, coll. Poche Points, 2023, 288 p.
Donna Leon est une romancière américaine, née le 28 septembre 1942 à Montclair, New Jersey.
Elle a exercé plusieurs métiers comme guide de voyage à Rome, rédactrice publicitaire à Londres et enseignante de littérature, notamment en Suisse, en Iran, en Arabie saoudite et, de 1981 à 1999, sur une des plus grosses bases européennes de l'armée américaine, celle de Caserma Ederle à Vicence, près de Venise. C’est ainsi qu’elle est tombé amoureuse la Cité des Doges. Elle y a vécu pendant près de trente ans et c’est là qu'elle a commence à écrire des romans policiers, qui prennent la même Sérénissime pour toile de fond. Ses romans sont traduits dans quelque trente-cinq langues
En 2015, en raison notamment, dit-elle, du flot incessant de touristes, elle a changé de domicile et s’est mise à partager son temps entre ses deux résidences de Suisse, l'un à Zurich et l'autre à Val Müstair dans les montagnes grisonnes, et Venise, où elle séjourne environ une semaine par mois.
« Le lecteur de Donna Leon découvre Venise mieux qu’avec n’importe quel guide touristique », a écrit un chroniqueur du Monde des Livres.
Je prends toujours beaucoup de plaisir à découvrir ses nouveaux livres, mais aussi à relire les précédents après le temps nécessaire pour oublier l’intrigue. Je dois en avoir une quinzaine à porter de main et j’ai beaucoup hésité à choisir lequel je vous présenterais.
J’ai finalement opté pour son premier roman, Mort à La Fenice, qui a été couronné par le prix japonais Suntory, qui récompense les meilleurs suspenses. Il est vraiment passionnant.
Le livre s’ouvre sur une sonnerie annonçant la fin de l’entracte, un soir à La Fenice, où se joue l’Aida de Verdi. Les spectateurs regagnent leurs place et le brouhaha s’estompe. Mais le chef d’orchestre se fait attendre ; les minutes passent et le silence devient pesant. Et voilà qu’apparaît sur scène le directeur du théâtre, qui a du mal à maîtriser sa voix : « Y a-t-il un médecin dans la salle ? » Le maestro vient d’être trouvé gisant dans sa loge, mort. Aussitôt dépêché sur les lieux, le commissaire Brunetti conclut rapidement à un empoisonnement au cyanure. Dans les coulisses de l’opéra, il découvre, horrifié, l’envers du décor. Parviendra-t-il à élucider l’énigme ? Telle est la question qui entraîne une lecture haletante, à un rythme rapide et saccadé, passionnant.
Stéphanie des Horts, Pamela, Albin Michel, 2017, 420 p., Le livre de Poche, 288 pages - 8,40 sur Amazon
C’est le portrait épique d’une femme extraordinaire.
Légère, séduisante, insolente, Pamela Beryl Digby, née en 1920, décide très tôt de capturer l’homme qui la mènera à la gloire.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle rencontre le fils de Winston Churchill, Randolph. Les circonstances de leur rencontre sont originales : Mary Dunn, dont le mari avait reconnu avoir couché avec Pamela, organise une rencontre avec Randolph, célibataire et alcoolique, dont aucune femme ne voulait, croyant là se venger. Désespérant de trouver une épouse, elle lui recommande Pamela : « Si vous voulez dîner avec une putain rousse, il vous suffit de vous rendre à mon appartement », la jeune femme étant sa colocataire. Mais Randolph la demande en mariage. Pamela Digby accepte et l’épouse le 4 octobre 1939. C’est évidemment, de part et d’autre, un mariage intéressé.
Elle divorce rapidement mais à appris entretemps à fréquenter les riches et puissants de ce monde. Elle va alors en séduire de nombreux. Aucun homme ne résiste à son charme. S’ils ont le pouvoir, elle exerce sur eux une attirance fatale. Ils l’ont tous désirée. Elle les a tous aimés. Mais ses conquêtes de Pamela sont des alliances, des trophées qu’elle brandit sans crainte de choquer les cercles mondains. Scandaleuse ? Intrigante ? Elle a en tout cas réputation sulfureuse, mais personne ne lui résiste. Femme d’influence et en raison de ses nombreuses aventures amoureuses, elle est appelée par certains « la dernière grande courtisane » du XXe siècle et parfois « la grande horizontale ».
Au fil des années elle est ainsi tour à tour la maîtresse du coureur automobile Alfonso de Portago, de l’Ali Khan, de Giovanni Agnelli, le propriétaire et patron de Fiat, de Frank Sinatra, le célèbre crooner, d’Averell Harriman, héritier des chemins de fer Union Pacific et banquier, ambassadeur à Moscou, gouverneur de l’État de New-York, secrétaire au commerce sous Truman et sous-secrétaire d’État sous Kennedy, de l’armateur grec Stávros Niárchos, de Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie française, de Forfirio Rubirosa, diplomate dominicain et célèbre playboy, du baron Elie de Rothschild, banquier et grand collectionneur d’art, et j’en saute, si j’ose dire…
Entretemps elle s’est installée en 1960 aux États-Unis et y a rencontré Leland Hayward, riche et puissant agent artistique américain qui a notamment produit La Mélodie du bonheur à Broadway. Elle reste avec lui jusqu’à sa mort en 1971 et hérite d'une grosse fortune.
Peu après elle reprend contact avec son ancien amant Averell Harriman et l'épouse le 27 septembre de la même année.
En 1971 elle prend la nationalité américaine et, grâce à son nouvel époux, commence une activité au sein du Parti démocrate, notamment pour lever des fonds. Ainsi, après avoir participé activement à la campagne de Bill Clinton pour l'élection présidentielle, celui-ci la nommera en 1993 ambassadrice en France.
Puis elle meurt comme une légende dans la piscine du Ritz à Paris, victime d’une hémorragie cérébrale.
Stéphanie des Horts en recherche les parfums et nous révèle l’existence flamboyante d’une séductrice hors norme.
À noter que son fils Winston, appelé « Baby Winston », qui fut membre du Parlement britannique de 1970 à 1997, avait épouse en secondes noces Luce Danielson, une flamande. Ainsi passait-il souvent une partie de ses vacances à Knokke-Le Zoute.
Stéphanie des Horts, Doris – Le Secret de Churchill, Albin Michel, 2022, Poche 312 p. - 8,70 € sur Amazon
Après La Panthère, Pamela, Jackie et Lee, Stéphanie des Horts, qui est une superbe biographe plonge allègrement dans l’entre-deux-guerres sur les traces de l’héroïne la plus scandaleuse qu’elle ait jamais rencontrée, Doris Delevigne, qui, née dans une banlieue populaire, se rêve en épouse d’aristocrate et reine de Londres.
À seize ans, elle se jette au cou d’un jeune capitaine de cavalerie, à dix-huit, elle hante les night-clubs à la mode. Dans le quartier chic de Mayfair, au cœur des années folles, on couche, on s’amuse, on se noie dans le champagne. Doris est la courtisane en vogue, ses faveurs sont remarquables, on lui prête des secrets dignes de ceux de Cléopâtre. Sa devise : le lit d’une Anglaise est son royaume.
Margot Hoffman, Randolph Churchill, Cecil Beaton, Tom Mitford… tout le monde lui cède. Le vicomte Castlerosse en tombe fou. Il l’épouse, elle le ruine.
Ça se lit comme un polar.
Même Winston Churchill succombera à l’hétaïre aux faux airs de Greta Garbo. Ce qui ne l’empêcha pas de rester attaché à son épouse Clementine, qui consacra sa vie à encourager et à assister le génie fantasque qu'était son mari, et surtout à lui communiquer son solide équilibre. Fine, pratique, imperturbable, douée de nombreuses qualités, elle se montra toujours pour lui une conseillère subtile et une compagne éblouissante. Il est peu de dire que sa perspicacité et son ascendant furent des facteurs essentiels dans l'ascension prodigieuse que connut Winston .
Si cette femme remarquable vous intéresse, lisez Lady Clementine Churchill de Bertrand Meyer-Stabley, éd. Bartillat, 2022, 305 p. – 22 € sur Amazon.
Marie-Dominique Lelièvre, Chanel & Co: Les amies de Coco, J’ai lu, 2015, 448 p. – 9,20 € sur Amazon
Sans ses amies, l'orpheline Gabrielle ne serait pas devenue Coco Chanel. Elles ont échangé leurs amants, leurs robes et leurs bijoux, leur science du glamour et leur goût. De cette Cendrillon, Misia, Adrienne, Colette, la grande duchesse de Russie, Vera Bate ont fait une reine. Elle les aimait et les détestait. Elles le lui rendaient bien.Des archives inédites révèlent une créatrice terriblement vivante dans une Europe en mutation. C'est Sex and the City avec un siècle d'avance. De la rue Cambon à la villa de Roquebrune, du Ritz au Palace Hotel de Lausanne en passant par New York, l'auteur ouvre des portes secrètes. Le premier portrait humain de Gabrielle Chanel.
Laure Murat, Proust, Roman familial, Robert Laffont, 2023, Le Livre de Poche n° 37744, 258 p. - 8,40 € sur Amazon
Voilà un essai que j’ai trouvé superbe. La princesse Laure Murat y raconte comment, en lisant Proust, elle a compris le monde de la noblesse dans lequel elle est née et comment il lui a permis de s’affirmer dans la distance qu’elle avait déjà prise avec ce monde.
« Toute mon adolescence, explique-t-elle, j’étais persuadée que les personnages d’À la recherche du temps perdu étaient des cousins que je n’avais pas encore rencontrés. À la maison, les répliques de Charlus, les vacheries de la duchesse de Guermantes se confondaient avec les bons mots entendus à table, sans solution de continuité entre fiction et réalité. Car le monde révolu où j’ai grandi était encore celui de Proust, qui avait connu mes arrière-grands-parents, dont les noms figurent dans son roman. J’ai fini, vers l’âge de vingt ans, par lire La Recherche. Et là, ma vie a changé. Proust savait mieux que moi ce que je traversais. Avant même ma rupture avec ma propre famille, il m’offrait une méditation sur l’exil intérieur vécu par celles et ceux qui s’écartent des normes sociales et sexuelles. Proust m’a constituée comme sujet. »
J’ai toujours eu du mal à lire Proust. Je me suis repris plusieurs fois à essayer, en vain. L’ouvrage me tombait des mains. Mais cette fois-ci je suis parvenu à lire jusqu’au bout Un amour de Swann. Quel bonheur !
Douglas Kennedy, Toutes ces grandes questions sans réponse, Belfond, 2016, 250 p. - 4,56 € en Poche sur AmazonLe bonheur n'est-il n'est-il qu'un instant fugace, n’est-il fait que de moments ? Sommes-nous les victimes ou bien les artisans de notre infortune ? Le piège le plus hermétique n'est-il pas celui dans lequel nous nous enfermons nous-mêmes ? Réécrire notre histoire la rend-elle plus supportable ? La tragédie est-elle le prix à payer pour notre existence ? Pourquoi le pardon est-il malheureusement la seule et unique option ? Dans la vie comme dans le patinage, tout n'est-il pas toujours qu'une question d'équilibre ?
Ce sont là quelques-unes des grandes questions que pose Douglas Kennedy, dans un livre témoignage, à mi-chemin entre confessions et essai littéraire, un véritable manuel d’art de vivre dans lequel il se dévoile comme jamais.
Né à New-York le 1er janvier 1955, Douglas Kennedy, parfaitement francophone, vit entre Londres, Paris, Berlin et Wiscasset dans l’État du Maine, où il a acheté une maison.
Il est non seulement érudit, mais aussi ludique. Son livre, touchant et drôle, fourmille d’anecdotes, nourrie d’expériences personnelles tantôt dramatiques, tantôt comiques.
Laurent Nunez, L’énigme des premières phrases, Bernard Grasset, Paris, 2017 - 15 € sur Amazon
Ce livre cite et commente quinze célèbres premières phrases de livres ô combien célèbres, que Laurent Nunez examine mot après mot. Tout ce que l’on peut deviner d’une œuvre, et de son auteur, n’est-il pas contenu dans «sa » première phrase ?
Autrement dit : son incipit ( antonyme : explicit), un mot latin incipit vient de l’expression latine ‘‘Hoc incipit liber’’, Ici, ou ceci, commence le livre.
Le nom incipit (du verbe latin incipere, commencer, désigne les premiers mots d'une œuvre musicale chantée ou d'un texte littéraire - il s'agit du début d'un texte, qui peut être religieux ou non, chanté ou non. Il peut notamment servir à identifier par ses premiers mots ou son premier vers un poème qui n'a pas de titre. Dans le cadre religieux de l'Église catholique ces textes chantés portent souvent en titre le premier mot de leur incipit : on parle d'un Gloria, d'un Sanctus. Les bulles pontificales, les encycliques et les exhortations apostoliques, écrites en général en latin3, sont nommées d'après leur incipit, par exemple Pacem in Terris, Paix sur la terre de 1963, ou Evangelii gaudium, La joie de l'Évangile, de 2013.
Le plus célèbre est certainement ‘‘Longtemps, je me suis couché de bonne heure’’, de Marcel Proust, par lequel commence Du côté de chez Swann de 1913.
‘‘Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas’’, L’Étranger de Camus, de 1942.
‘‘C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar’’, Salammbô de Flaubert, de 1862.
« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie », Aden Arabie de Paul Nizan, de 1931.
« Depuis Adam, il n’y a guère eu de méfait en ce monde où une femme ne soit entrée pour quelque chose » , de Mémoires de guerre, de Charles de Gaulle, de 1954 (Provocatrice, déterminée dans son affirmation, choquante pour certains, cette phrase atteint son but : donner au lecteur envie de continuer)
‘’ On ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire » », du Traité du droit de l’insolvabilité, Alain Zenner, 2019.
Anne Boquel & Etienne Kern, Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains, Payot, 2015 - 27,78 € et 2,41 € en occasion sur Amazon
Qui a dit que nos grands écrivains étaient des écrivains parfaits ? Dans ce Lagarde et Michard à l'envers – le Lagarde et Michard est un manuel scolaire de littérature française qui a longtemps servi de base à l'enseignement de la littérature dans les collèges et lycées en France et dans d'autres pays francophones - sont traquées les fautes de syntaxe, répétitions malheureuses, incohérences narratives qui se retrouvent dans les chefs-d'œuvre les plus consacrés de notre littérature... non pas pour les tourner en ridicule, mais pour en montrer le caractère vivant, et les aimer encore davantage !
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